samedi 7 avril 2012

Syrie : ne pas reproduire les mêmes erreurs.


            
            La Syrie compte 21 millions d'habitants, majoritairement arabes, avec des minorités kurde, juive et grecque.  22% des habitants sont des musulmans d’origine Alaouite. Les Alaouites ne sont pas reconnus comme « des vrais  musulmans » par les Sunnites, les Chiites orthodoxes, l’Islam Kurde, les Ismaéliens et les Druzes, d'autres courants de l'Islam. Les Chrétiens, 10% de la population, sont très actifs mais divisés, selon leur allégeance au Patriarcat de Constantinople ou au Pape de Rome : Syriaques jacobites, Assyriens, Arméniens, Grecs Orthodoxes, Catholiques, Coptes, Maronites. Les juifs, environ 30 000, se rencontrent essentiellement à Damas et à Alep.


La Syrie de l’Antiquité a été morcelée en plusieurs Etats à l’issue de la première guerre mondiale : Syrie actuelle, Liban, Palestine, Jordanie. La Société des Nations en 1922 confirme l’amputation du Liban au sud-ouest et le rattachement de la ville d’Antioche à la Turquie, un des berceaux du christianisme. Demeure ainsi vivant dans la culture syrienne le souvenir de l’époque où Damas était la capitale d’un empire arabe à son apogée. L’indépendance de la Syrie actuelle est proclamée en 1946 après 25 ans de « mandat » français. Aujourd'hui le pouvoir est détenu par la famille el-Assad. Le général Hafez el-Assad prend le pouvoir en 1970 à l'issue d'un coup d’Etat militaire, pouvoir transmis en 2000 à Bachar, son fils cadet. La famille el-Assad est Alaouite et pratique un islam inspiré du chiisme dans lequel certains vont jusqu’à voir une « hérésie ».

         Les Alaouites n'obéissent pas à la charia, n'exigent pas que les femmes soient voilées et s'abstiennent de tout prosélytisme. Les élites syriennes occidentalisées, à l'image d'Asmar el-Assad, professent un Islam tolérant et ouvert sur la modernité. Le radicalisme sunnite est  donc en opposition totale aux Alaouites, jugés se nourrir des  perversions de l’Occident. Les Alaouites sont omniprésents dans les sphères supérieures de l'armée et de la Fonction Publique. Les minorités juives et chrétiennes sont protégées et représentent des soutiens constants au Pouvoir. Nombre d'officiers supérieurs et de hauts fonctionnaires sont chrétiens.    
  
        Ainsi depuis les origines, des antagonismes profonds,  sur des bases ethniques et géographiques, religieuses et culturelles, économiques et sociales,  opposent ces  courants qui traversent les héritiers d’Abraham.

        Politiquement, pour fédérer cette mosaïque de courants en un Etat Syrien, le Pouvoir se déclare laïc et s'appuie sur un parti unique, le parti Baas (résurrection) crée par un chrétien nationaliste en 1942. Un vote référendaire, intervenu en février 2012, confirme cette organisation et introduit une « dose » de multipartisme. Ce vote est considéré comme une « mystification » par les Etats Occidentaux.

         En 1982, notamment à Hamah, des opposants sunnites s’insurgent contre le régime. Une répression militaire sanglante fait près de 20 000 victimes, toutes sunnites, principalement issues du mouvement des Frères Musulmans. Cette répression laissera des traces profondes dont l'écho revient dans les événements qui secouent le pays aujourd’hui. Les dirigeants de l’insurrection sont essentiellement sunnites. Ils sont ouvertement soutenus par les États-Unis, l'Europe et les pays du golfe, notamment le Quatar et l’Arabie Saoudite
*, qui professent un islam radical, le « wahhabisme ». Les intérêts géostratégiques d’Israël le conduisent à participer indirectement à la déstabilisation du pays. Le gouvernement syrien est soutenu par l'Iran chiite, le Liban du Hezbollah, la Russie et de la Chine, peu désireuses de perdre leur influence dans cette région du Moyen-Orient et peu enclines à mettre leurs pas dans ceux des Etats-Unis.

Si demain le pouvoir change de mains, rien n'indique que le pays sera pacifié. Au contraire, tout montre que la guerre civile fera de la Syrie un champ de ruines où Chrétiens et Chiites seront pourchassés par la branche radicale sunnite des Frères Musulmans et des Salafistes, leur financement étant assuré dans la région.

Le soutien des occidentaux à l’insurrection procède de la myopie politique et de la faute historique. Cest jouer à l'apprenti sorcier que de favoriser la création  d’un état de fait de guerre civile débouchant sur une insécurité permanente, comparable à celle qui détruit, jour après jour, l'Etat en Irak. Et ce bien au-delà de la seule confrontation indirecte à l’Iran.

Que le régime syrien nous soit sympathique ou non, n'est pas la question. Le peuple syrien vit sous une dictature militaire qui procède de la domination des Alaouites et de leurs alliés Chrétiens, mais miser sur le renversement du pouvoir, c'est allumer un feu dont on ne sait jusqu'où il se propagera. L'Irak en fait actuellement la démonstration : la même politique produira les mêmes effets. En son temps, le soutien d'intellectuels occidentaux aux mouvements d’insurrection des ayatollahs de Khomeiny, contre le Shah d’Iran, a favorisé l’instauration d’un État  fondamentaliste et a apporté une contribution à la déstabilisation du Moyen-Orient. Et bien au-delà.

La France, en particulier, et les Nations Occidentales ont des devoirs, notamment humanitaires, dans le drame que vivent les populations syriennes. L’ouverture d’un couloir sanitaire depuis le Liban, ou l’intervention de « casques bleus » sous mandat d’interposition de l’ONU, peuvent être des réponses d’urgence. L’isolement diplomatique du gouvernement, voire la rétention des biens de la famille el-Assad dans les capitales Occidentales, peuvent faire avancer une exigence de démocratisation, mais faire croire que l'immixtion de l'occident dans les affaires syriennes est un acte moral est un effet de propagande. D'autres intérêts, qui  n’ont rien à voir avec la paix et le bonheur des peuples, sont en jeu.

                                                                                                                                  Synthèse rédigée le 29 février 2012.

Les Services du Renseignement Français, très actifs en Syrie et au Liban, signalent la présence dans les combats  de commandos salafistes équipés d'armes lourdes. Ils viennent d'Arabie Saoudite et leur présence est très mal vue par "les Insurgés" eux-mêmes. Rien à voir avec une exigence de démocratisation du régime: ces moudjahidines, fondamentalistes sunnites, organisés en kataëb (phalanges), ne visent que l'extermination des alaouites . Regroupés en "Front de la Victoire", ils sèment la terreur à Damas.

1 commentaire:

  1. Ajout du 28 juillet 2012 : la phase finale à Alep

    La CIA et les Services de Renseignements Français savent mieux que personne qui est retranché dans les quartiers d'Alep assiégés par l'armée syrienne.

    Les combattants sont des opposants syriens (en minorité) et surtout des miliciens étrangers qui déclarent appartenir au « Liwa Tawhid al-Moudjahidine », c'est à dire à la Brigade de l'unification des Moujahidines (combattants islamistes). Cette brigade est composée notamment de Tchétchènes, d'Algériens et même d'Occidentaux, en particulier des Suédois et des Français de confession musulmane.

    Le régime syrien est sans conteste un régime totalitaire exercé au profit des Alaouites, de certaines minorités chrétiennes ralliées, et d'une élite sunnite occidentalisée, mais le péril islamiste est un danger bien supérieur pour la région et le monde que celui que représente le maintien en place du régime actuel. La leçon de l'Iran, où l'Occident a abandonné le Shah au profit des Ayatollahs, et celle de l'Irak, où une guerre civile sans issue entre communautés chiites et sunnites a succédé à Saddam Hussein, ces leçons n'ont pas été tirées par un Occident placé sous la coupe de l'Arabie Saoudite fondamentaliste et de son pétrole. La démocratisation en Syrie, la Paix entre les confessions religieuses, chrétiennes et musulmanes, ne passera pas par la victoire d'opposants au régime manipulés par des milices islamistes. C'est une naïveté politique et une faute morale que de le croire.

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